Avec l'organisation de la première Triennale de Kigali, le Rwanda se positionne de manière ambitieuse dans le calendrier culturel africain.

Depuis le sommet de la colline, entre les feuilles de bananiers et d'eucalyptus, des taches rouges à la surface de l'eau attirent le regard. Il est difficile de croire en la vision onirique qui s'impose dans la mosaïque de verts sous un ciel d'orage : des bateaux surmontés d'ailes de papillon rouge vif se déplacent lentement sur le lac Burera, entre la côte et l'île Batutsi.

Dans le nord du Rwanda, loin de tout centre urbain, loin de tout musée, une œuvre d'art dirigée par des pêcheurs se meut librement dans la nature. Tel est le désir du jeune artiste plasticien rwandais Cédric Mizero, âgé de 31 ans. Surplombant les lacs jumeaux de Burera et Ruhondo, il a acheté toute une colline qu'il a ensuite transformée en résidence d'artistes, lieu d'exposition, de rencontres et de spectacles. Connu internationalement pour ses créations de mode, le jeune homme travaille ici en connexion avec les habitants et en contact étroit avec la nature. Il a nommé cet endroit au panorama sublime Ikinyugunyugu, ce qui signifie "papillon" en kinyarwanda.

Cédric Mizero et les papillons du lac Burera

En ce mois de février 2024, Ikinyugunyugu a accueilli pour la première fois des visiteurs étrangers pour leur offrir un parcours d'art et de musique, à l'occasion de la première Triennale de Kigali, organisée du 16 au 25 février 2024. Un événement parmi tant d'autres célébrant la vitalité et la ténacité des arts dans ce petit pays de la région des Grands Lacs. "La Triennale comprend 64 événements, 150 artistes étrangers invités, 200 artistes et auteurs rwandais", résume en une phrase Sophie Kabano, avocate d'affaires à Kigali, productrice de la Triennale et administratrice de la Rwanda Arts Initiative (RAI). Pendant 9 jours, les Rwandais et les visiteurs étrangers ont pu assister et participer à une multitude d'événements culturels, principalement dans la capitale mais aussi dans les zones rurales. Rencontres littéraires, représentations théâtrales, spectacles de danse, expositions, projections, concerts : la plupart des industries culturelles et créatives (ICC) étaient célébrées, que ce soit dans les salles ou dans les rues.

L'art, un fondement de cohésion.

Le directeur artistique de l'événement, Dorcy Rugamba, ne dit rien d'autre : "Dans un pays traumatisé comme le Rwanda, qui est également un pays monoculturel où nous parlons tous la même langue, l'art peut être un fondement de cohésion. Il existe aujourd'hui une véritable volonté d'ouvrir le pays et d'assumer une vocation panafricaine. C'est très récent, mais la ministre de la Jeunesse et des Arts, Sandrine Umutoni, vient du secteur culturel et comprend tous ses défis, en particulier économiques. En ce qui concerne la programmation, l'État ne s'est pas immiscé et nous a laissé libres

Poussé par le désir de "mettre en lumière la communauté artistique rwandaise et d'inviter le monde", Dorcy Rugamba défend l'idée d'un "investissement pour l'avenir", tant au sens propre qu'au figuré. S'il affirme avoir eu à cœur de soutenir la jeunesse, de promouvoir les créatrices et de montrer la production africaine, il n'hésite pas à utiliser l'argument économique pour expliquer son approche. "Quand il est question de culture, beaucoup prétendent que ce n'est pas une priorité, que ce serait de l'argent gaspillé pour faire la fête - alors que c'est en réalité un investissement à long terme. Aujourd'hui, la plupart des pratiques artistiques sont cantonnées à l'économie informelle. En les développant, il est possible de les intégrer à l'économie formelle. Avec la Triennale, nous ne cherchons pas à faire quelque chose de somptueux, nous mettons l'accent sur les forums de discussion, la formation, la professionnalisation, en pensant au monde culturel comme à un marché global. Nous invitons des producteurs qui peuvent créer des projets et soutenir des artistes au niveau international. Les professions créatives sont très prisées par les jeunes et les partenaires financiers peuvent maintenant comprendre qu'il est possible d'investir dans un artiste ou une compagnie. L'ambition est clairement de faire de la culture un secteur de développement. D'ici trois ans, j'espère que tous les acteurs culturels auront compris quel rôle ils peuvent jouer". De son côté, Sophie Kabano souligne que le pays envisage de créer 300 000 emplois par an "en dehors de l'agriculture" et qu'il existe une "opportunité à saisir".

Source de l'article : jeuneafrique